Pas encore sorti du bois
(Écrit le 20 décembre, mais mis comme publié le 16 car c'est à ce moment ce produise les évènements)
J'essaie d'écrire depuis quelques jours sur notre nouvelle sortie au Parc du Mont Tremblant (non, pas elle, une autre). Ce fut une superbe expérience. Débranché, un peu, passionné, beaucoup.
Nous avons commencé par se tromper d'entrée pour le parc. Au lieu d'aller dans le secteur du diable, nous avons visité l'accueil (fermé!) du secteur Pimbina. Évidemment, notre désorganisation épique aidant, nous étions déjà en retard, donc pas question de reprendre la route un autre 47km pour se rendre à l'autre entrée. Les gardes-parc ont donc gentiment transféré notre réservation vers un autre refuge, le Geai Bleu, un plus petit, premièrement, mais surtout plus près de la route (2km, vs 10km pour le Liteau, notre destination originale). Nous avons donc marché le 2km dans les bois pour nous rendre au liteau, en partie sur un sentier de ski qui était pour l'instant un sentier de motoneige, et en partie sur un chaotique sentier de raquette, où aucune raquette n'avait encore passé.
Nous sommes donc arrivés dans ce joli refuge 6 places (plus ou moins) dans l'après-midi. Ça nous donnait suffisamment de temps pour une petite excursion en montagne. Cherchant un peu de défi, nous voulions tenter la R3, qui faisait un sommet. Ça a été un peu difficile, car il a été impossible pour nous de trouver le départ de la piste. Après un peu de découragement, j'ai suggéré qu'on se lance à l'aveugle perpendiculairement au flanc de la montagne. Ma théorie était qu'on avait manqué le départ de la piste, mais qu'elle était devant nous, 40 mètres en amont, parallèle au sentier de ski que nous suivions.
Mes camarades ont accepté, avec une saine dose de doute, de suivre la folie de moi et Stéphane, qui est toujours partisan de se garrocher dans le fin fond de nulle part. Armé d'une boussole et de l'imprécise carte des sentiers, j'ai vaguement dirigé les marcheurs intrépides dans le flanc de la montagne. Marcheurs qui, en fait, n'avaient pas vraiment besoin de guide: il suffisait de monter droit. Ma théorie était bonne: nous sommes tombés sur des balises quelques temps plus tard. Mais le doute subsistait: quels étaient ces balises? Était-ce vraiment le bon sentier? Était-ce même un sentier tout court?? Peut-être ces balises étaient-elle là pour une autre raison... Toujours intrépides, mais encore plus sceptiques, nous nous sommes élancés dans la piste.
En fait, je dis piste, car il y avait des balises roses fluo. C'était une piste de raquettes, pas de randonnée. C'était donc assez difficile à pratiquer, et si ce n'était des balises, elle était indéchiffrable: des buissons, des arbres, tout était dans notre chemin si bien que notre progression était très pénible, mais surtout lente. Vu notre départ tardif de Montréal et donc du refuge, la nuit menacait de nous engloutir dans ses noirceurs et tout le monde craignait d'avoir à trouver son chemin dans ce non-sentier dont on savait seulement la couleur des balises, qui ont la fâcheuse tendance à s'effacer dans le noir. Enfin... nous avons continué, laborieusement.
N'empêche, à ne pas savoir où on va, on s'inquiète, surtout quand c'est un fou avec des dreads qui tient la boussole et qui a pas trop l'air de savoir où il s'en va. La mutinerie s'est tranquillement installé, sans que j'y résiste trop. D'ailleurs, ce n'était pas vraiment une mutinerie parce que, de un, je n'étais pas le chef, et de deux, j'aurais fait partie des mutins: j'avais mes propres doutes sur mes jugements. Peut-être est-ce que la carte était fausse? Comment trianguler sans crayon et seulement deux vagues colines comme points de repères, sans parler de la carte ayant plus l'air d'un jeu de serpent et échelle grossier qu'une véritable topo?
Quand le soleil s'est caché derrière le sommet qu'on visait, le doute a commencé à gagner. Le sentier était devenu impraticable et les balises de plus en plus distantes. Il fallait maintenant prendre une décision: revenir sur nos pas? Continuer à fond en assumant que notre chemin allait bel et bien déboucher sur la piste de ski 5, qui devait être plus dégagée et marchable de nuit? Faire le sommet et revenir? Nous avons décidé du chemin de la sagesse et choisi de revenir... Mais revenir où? Nous avions toujours des doutes sur la fonction des balises et l'identité du sentier. Si nous le suivions, nous ne savions même pas où nous allions atterrir. Si nous tentions de retrouver la route chaotique que nous avions, nous pourrions la manquer et la route était difficile: nous aurions pu manquer de temps. Pas le choix, il faut faire comme nous avions commencé: se relancer dans l'azimut opposé que celui qui nous avait mené à la piste. Puisque les deux pistes étaient théoriquement parallèle, ça nous ramenait à la piste de ski bien ouverte.
Et, Ô joie, après seulement quelques minutes d'amusante descente, nous avons rejoint ledit sentier, avec une surprise à moitié contenue. Moi, je savais, bien sûr, que nous étions sur le bon sentier. Je n'avais qu'on doute incommensurable sur mes propres capacités de jugement et d'orientation... ça m'apprendra à douter. Ce qui est peut-être une mauvaise chose: maintenant je n'aurai plus le doute et je serai encore plus en danger... Peu importe! Il s'est trouvé que nous étions qu'à quelques centaines (j'en ai compté 300) de notre point de départ. Nous aurions donc franchi en montagne à peine 800m en une bonne heure, selon nos estimés. Qui plus est, sur le chemin du retour, j'ai prouvé que c'était le bon sentier en retrouvant les petites balises roses. J'étais bien fier de moi.
Un riche souper de pâtes, un peu de whisky et un poêle à bois plus tard et nos petites pattes nous démangeaient encore. La lune était assez forte malgré les nuages annoncant la neige de la nuit, et nous avons donc décidé de nous lancer sur les sentiers immaculés. Nous avons marché une boucle 6km dans un silence troublé seulement par le glissement de nos accoutrements et le bruissement de la neige sous nos pas. Un tel sentiment de tranquilité et d'absolu ne se retrouve vraiment que l'hiver, dans le bois. L'humain explose alors comme un parasite bruyant qu'on essaie de taire: on entend tous nos petits gargouillements et flux respiratoires, qui semblent si étranges après tout, si peu familiers mais si près de nous... Et ce vide! Personne d'autre que nous à des kilomètres à la ronde! Je me sens privilégié, maintenant, avec le recul, de pouvoir réaliser ce désir qu'ont tant d'humain de vivre dans le vide, dans la solitude, l'éloignement.
De retour au refuge, nous avons discuté un peu, bu du thé et pompé de l'eau au travers du filtre à bruyant, pour tomber de fatigue dans la chaleur intense du poêle qui nous a tenu toute la nuit. Des rêves inattendus, charmants et délivrants nous ont bercé jusqu'au matin, quoique personne n'a appris à voler comme nous l'avait promis Anne. N'empêche, ce fut une de mes plus belles nuits depuis longtemps, j'ai enfin dormi à poings fermés, et même si j'ai du parfois me réveiller pour chauffer le poêle, c'était un plaisir.
Le lendemain, la neige recouvrait tout. Elle avait fait son travail durant la nuit et avant balancé sur le sud du Québec quelques 40cm de neige, presqu'autant que lors de la légendaire tempête du siècle. L'heure de retour prévue à Montréal (14h), la distance à faire pour revenir à l'accueil (2km) et l'heure tardive qu'il était (11h30!!) nous ont soudainement rejoint... Nous avons quand même pris le temps de manger notre "porridge", car après tout, nous n'étions pas sortis du bois... Il a été bien amusant de gambader dans la grosse neige folle, et nous étions bien heureux de ne pas être à 10km de l'accueil car ça aurait été très difficile et long de revenir. Il a tellement neigé durant la nuit qu'il a fallu pousser pour sortir la voiture du stationnement... Inutile de dire que nous sommes arrivés à Montréal en retard. Pris derrière les grattes à 50km/h sur la 15, la bretelle d'accès de la 40 fermée de la 15, Henri-Bourrassa embouteillée comme jamais, la ville étaient en train de figer sous un manteau de neige... On a quand même pris le temps de manger une bonne poutine à la banquise pour se faire un dernier plaisir avant de retourner dans la folie de la vie supposée normale.