Pour répondre à des questions récurrentes, et suite à la lecture de l'excellent livre de Tim Wu, The Master Switch, je me permets de brosser un petit portrait historique de l'installation du monopole, ou oligopole pour être plus exact, des compagnies de télécommunications sur l'internet au Québec. Je propose également une solution au problème du monopole par l'entremise de la nationalisation du réseau de télécommunication physique et la création d'une société d'état: Réseau-Québec.

Histoire et contexte

Une façon dont les "gros fournisseur" ont pris le contrôle de "l'internet", c'est d'abord et avant tout au travers de leurs monopoles sur infrastructures existant avant la naissance d'internet.

Il faut comprendre que l'internet est un d'abord est avant tout un réseau physique. Il est un réseau de réseaux, qui sont interconnectés avec des connexions physiques, désormais par fibre, mais auparavant principalement par fil de cuivre et aussi par satellite dans certains cas.

Il faut donc éviter de voir l'internet comme un nouveau phénomène dans ce cas-ci, mais comme une extension historique des monopoles précédents, en partant du télégraphe jusqu'aux réseaux de cablo-distributions télé. Le livre "The Master Switch" de Tim Wu explique fort bien cette historique aux États-Unis, mais je pense qu'on pourrait également l'étendre au Canada ou ailleurs dans le monde.

Bell Canada

Dans le cas de Bell Canada, il s'agit du monopole sur le réseau téléphonique longue-distances qui a permis à Bell de se placer comme acteur privilégié dans le développement de l'internet. Rappelons qu'avant la venue de Vidéotron, Bell avait un monopole complet sur les connexions domiciliaires haute-vitesse. Et même: avant la venue de la haute vitesse, nos connexions "modem 56k" roulaient toutes sur des lignes de cuivre de Bell. Le monopole sur les appels longue-distance prenait alors tout sa signification, alors qu'un ISP devait alors s'implanter dans la ville où ses utilisateurs étaient afin de fournir un service que Bell ne fournissait alors pas du tout. L'ISP devait même alors prendre des lignes de bell, qui n'avait aucun effort à faire pour récolter les bénéfices sur les temps d'utilisation.

Avec la venue de la haute vitesse, la situation s'est empiré: alors qu'il était possible pour n'importe qui de se connecter "l'internet" (par une université ou une des rares connexions existantes) et lancer son propre ISP en se branchant sur le réseau relativement neutre de Bell, il est maintenant pratiquement impossible pour un compétiteur d'établir un réseau physique entre son point d'accès à internet et tous les foyers du Québec. Le fournisseur est donc obligé de faire affaire avec Bell Canada (ou Vidéotron, j'y arrive) non seulement pour la connexion physique, mais également pour le trafic en tant que tel. Ainsi, le revendeur fait seulement un intermédiaire de plus après Bell Canada, qui est le véritable fournisseur de service internet, le premier point où le client entre sur le réseau.

Pour faire une analogie, c'est un peu comme si je me lançait dans la téléphonie cellulaire en revendant le réseau de Rogers mais en changeant le nom. J'achète plusieurs forfaits à Rogers (peut-être à rabais?) minutes et téléphones comprises, je change le logo sur le téléphone et je revends avec un profit. Ceci peut sembler absurde, mais c'est plus ou moins ce qui se passe avec les revendeurs de Bell présentement, à la différence majeure que Bell ne chargeait pas les appels à la minute pour les revendeurs. Et c'est exactement ce que la nouvelle charge des oligopoles veut changer: permettre aux monopoles de facturer la bande passante aux revendeurs au lieu d'avoir un accès ouvert au réseau.

Vidéotron

Vidéotron est dans la même position: ils ont développé un réseau physique basé sur le câble et des interconnexions radio (micro-ondes ou satellites, pour être plus précis) entre les villes, afin de fournir des services de télévision. Ce service leur a permis d'acquérir une masse critique de connexions aux foyers québécois. Une fois que le réseau physique est en place, ils peuvent alors offrir une connexion de données aux clients, il suffit de changer quelques équipements au bout du fil.

Ce qu'il faut comprendre ici, c'est qu'il y a seulement deux fils qui entrent dans votre maison: le câble ou le téléphone. En avoir plus serait assez ridicule (déjà on admettra que deux réseaux parallèles est du gaspillage): il y a qu'une seule rue devant votre maison. Curieusement personne ne parle de privatiser les rues. Le problème sur le réseau physique est similaire.

Et l'internet dans tout ça?

On me répondra ici que je parle seulement des connexions entre l'ISP et le client, et non de l'internet en tant que tel. Mais le problème est exactement à ce niveau: le "last mile" - le dernier kilomètre, qui est le plus coûteux, car le nombre d'utilisateurs et donc le retour sur investissement est minime.

En acquérant le monopole sur le "dernier mile", ces deux compagnies ont derrière eux une masse extraordinaire de clients avec lesquels ils peuvent négocier avec les autres acteurs sur internet. Il est important de comprendre que sur le réseau, les connexions sont négociées au volume: plus vous êtes gros plus vous avez des prix moindre, par unité de débit. Qui plus est, plus vous êtes gros, plus vous pouvez facturer des prix élevés pour permettre à des tiers de se connecter à votre réseau. Certains fournisseurs ont fait un point d'honneur de ne pas utiliser ce pouvoir et font de leur modèle d'affaire de s'interconnecter avec un maximum de réseaux. Bell, c'est l'inverse: c'est un privilège difficile (et dispendieux) d'être directement connecté au réseau de Bell Canada, quand on est sur le "backbone", dans les centre de données.

Une autre façon d'expliquer le phénomène est de dire que sur internet, il n'y a pas de backbone: c'est un réseau en théorie décentralisé, donc il n'y a pas un grand autoroute sur lequel tout le monde se connecte. En fait, pour être plus exact, il n'y a pas de backbone... après Bell Canada et Vidéotron, qui eux ont fabriqué leur réseau de façon complètement centralisée.

Bell et Vidéotron sont donc l'internet, le backbone au Québec, d'une façon bien réelle et direct, sauf quelques exceptions notables qui ne sont pas accessibles au commun des mortel, évidemment. L'internet n'est pas comme la télévision: sur internet, le contenu, c'est nous. C'est l'utilisateur qui le fournit la plupart du temps. Et qui contrôle les utilisateurs (et donc l'internet): les ISPs.

Que ces acteurs utilisent maintenant leur monopole vertical pour éliminer les compétiteurs ne devrait pas être une surprise, et on devrait certainement s'inquiéter du futur quand une poignées de compagnies contrôle l'infrastructure de communication qui permet au commerce, médias et gouvernements d'opérer dans cette ère moderne.

Les solutions

Le gouvernement Canadien et le CRTC ont traditionnellement pris une approche complaisante face au problème. On pourrait les excuser en évoquant leur ignorance de l'architecture du réseau, mais cet excuse aurait dû disparaître avec le temps et les consultations publiques. Il semblerait cependant que les idéologies néo-libérales de dé-régularisation aient la cote malgré la contradiction évidente des monopoles face aux théories du marché libre capitaliste.

Ailleurs dans le monde, certains gouvernements ont pris des approches différentes.

Je prône depuis un certains temps la nationalisation des infrastructures physiques au Québec. Certains voient ceci du mauvais oeil: que le gouvernement aurait alors le contrôle d'internet. Je pense au contraire qu'en installant un réseau physique public, on s'assure de décentraliser le réseau et permettre à plusieurs acteurs de devenir des fournisseurs de services, alors que ceci est maintenant accessible qu'à 5 compagnies au Canada entier.

Le fait qu'il y a seulement 5 compagnies au Canada (et 2 au Québec) rend beaucoup plus facile le contrôle de l'internet par le gouvernement. Il n'a qu'à sonner à 2 portes pour avoir l'information qu'il veut, et ces compagnies ne sont vraiment pas en position de refuser quoique ce soit au gouvernement qui soutient leur monopole économique. C'est d'ailleurs une compagnie privée (unique) qui faisait le contrôle et la censure de l'internet en Tunisie pendant la dictature. Si l'état deviendrait propriétaire des lignes physiques (par l'entremise d'Hydro-Québec, par exemple) il pourrait certes surveiller les communications, mais ceci demande des équipements différents (et donc des investissements spécifiques) que la simple connexion physique. Soit dit en passant, l'électricité, un service publique au Québec, peut également être un formidable outil de surveillance duquel on ne soucie pas généralement.

En rendant le réseau un service public et le Québec pourrait se lancer dans une nouvelle génération numérique, qui permetterait à tous les québécois et Québecoises d'entrer dans le réseau, peu importe la distance ou les moyens économiques.

Réseau-Québec, ça sonne bien non?

Merveilleux
Je suis entièrement d'accord avec vous. Je vais tenter de propager cette bonne idee!
Comment by Martin Lessard
Bonjour. Je suis parfaitement

Bonjour. Je suis parfaitement d'accord avec votre opinion quant la situation de l'Internet et des télécommunications au Québec.

En passant, par l'entremise de la Caisse de dépôt et placement du Québec, nous sommes collectivement propriétaires à hauteur de 45% de Québécor Média qui détient 100% des actions Vidéotron. S'il y avait une volonté politique pour la nationalisation des télécommunications, il en manquerait peu pour acheter la balance des actions (55%) et faire de Vidéotron une société d'état comme Hydro-Québec.

Pour ceux qui pensent que "nationaliser" signifie de se débarrasser du privé, détrompez-vous. Le secteur privé trouverait quand même son compte, la différence, c'est que les règles du jeux seraient définies par le gouvernement et non par les monopoles. Le gouvernement aurait le pouvoir de s'assurer que tous les citoyens puissent avoir accès à des services à un prix juste et équitable, peu importe où ils se trouvent sur le territoire. Pour y arriver, la construction d'un grand réseau dorsal national est indispensable.

Comment by Maxim Chartrand
une idée géniale
C'est une idée géniale de nationaliser le réseau pour donner la chance à tous.
Comment by Pascal
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